La Vierge de faïence

 

 

 

BIENTOT, J’ESPERE...

 

 

- Et moi, quand je serai grand, je serai potier, comme papa !

- Tu sais dessiner ?

- Un peu ! Mon père m'apprend ! Je regarde comment il fait, et je fais pareil !

- En vrai ?

- Sûr ! Des fois, il me tourne une petite assiette, et c'est moi qui la décore.

- T'en as déjà tourné, toi, des assiettes ?

- J'ai essayé, mais elles n'étaient pas belles. Mon père m'a dit que ça viendrait !

- T'as de la chance ! Moi aussi, je voudrais bien essayer !

- C'est pas les filles qui font de la poterie ! C'est trop difficile !

- Y en a bien qui aident ! Je peux bien y arriver, moi aussi !

- Non, tu peux pas, parce que les filles, elles savent pas !

- Mais je peux bien apprendre !

- Les filles, ça fait les enfants, ça apprend à faire la cuisine, et à tenir un ménage. La poterie, tu ne sauras jamais, parce que t'es qu'une fille !

- ??

- Pierre, dépêche-toi, tu n'entends donc pas la petite cloche ?

- J'y vais, père ! à midi !

Il dégringola la ruelle qui menait chez le maître d'école, près de l'église. Restée sur les marches de la maison, Isabeau le suivit des yeux jusqu'à ce qu'il eût disparu derrière les maisonnettes aux toits de tuile rouge presque plats. Le soleil, déjà matinal en cette saison, montait dans un ciel d'azur, pur comme l'insouciance des enfants. A quelques pas d'elle, entre ombre et lumière, le potier l'observait, un léger sourire au coin des lèvres. Il avait installé son tour sur le seuil de son atelier, mais restait prêt à s'abriter dans la fraîcheur de la pénombre, dès que la chaleur deviendrait excessive.

- Tu aimerais mieux être un garçon ?

- Pourquoi les filles elles vont pas à l'école comme les garçons ? Il paraît qu'au prieuré, les filles de mon âge apprennent à lire ! Et même à écrire !

- Oh, et même avant dix ans ! Tu voudrais, toi ?

Elle descendit l'escalier, l'air boudeur, et s'approcha, les mains dans le dos et le regard au sol, vers l'artisan à l'œil curieux.

- Mon père veut pas ! Il dit que c'est trop cher !

Sans répondre, le potier saisit un long bâton, l'engagea dans une encoche du large volant inférieur et, d'un coup sec et puissant, lança son tour. Reposant son bâton, il trempa ses mains dans un petit bassin d'eau trouble, et les appliqua autour de la motte d'argile qui trônait au centre du plateau. Entretenant du pied droit le mouvement rotatif régulier de son tour, il étranglait la motte informe qui grandissait, débordait de ses mains, s'élevait en s'amincissant.                      

Bouche bée, Isabeau admirait cette terre inerte, grasse, sauvage, qui commençait à être dressée, domestiquée par la volonté tranquille de l'artisan. Puis, prenant dans un vase une poignée de terre brune, elle entreprit de la mouiller, et commença à la pétrir pour lui donner la forme d'une petite écuelle.

- Dis Maître Bousquet, tu pourras me la faire cuire en cachette ?

- En cachette ? Et de qui ?

- Ben, de Pierrot, pardi ! Mais faudrait que tu m'aides à la décorer, parce que je sais pas écrire.

- Il n'y a pas besoin de savoir écrire pour la décorer ! Tu sais dessiner par terre, avec le bout du bâton ? Ce n'est pas plus difficile !

- Ben oui, mais moi, j'ai besoin d'écrire sur mon écuelle !

- Tiens donc ! Et que veux-tu écrire ?

Elle piqua du nez et rougit. N'obtenant pas de réponse, Jean -Baptiste releva tête et, plissant les yeux, scruta le visage de la petite pour croiser son regard. Puis, levant les bras au ciel tout en reposant ses deux pieds au sol, il laissa doucement mourir le mouvement de son tour. Plongée dans son mutisme, Elisabeth se rendit bien compte  de  tout  ce manège ; elle aurait pu s'enfuir de honte et elle attendait : elle attendait, en toute simplicité, un mot de bienveillance, une main tendue, le signe d'une complicité réciproque. Elle aurait aimé, tout à la fois, garder le secret de son affection pour Pierre, et le partager avec un confident, un conseiller même.

Jean-Baptiste trempa ses mains dans le bassin et les frotta méthodiquement, sans quitter la gamine des yeux, puis il les rinça dans un bol d'eau claire et les secoua énergiquement vers le sol.

Enfin, se levant tranquillement, il les essuya sur ses braies.

- Tu saurais garder un secret ?

- Bien sûr, Maître Bousquet !

- Viens avec moi, tu vas voir ! Mais fais bien attention !

Il l'entraîna vers le fond de l'atelier. Dans la pénombre, elle distingua, étalées sur de nombreuses étagères, des poteries de toutes formes, séchant doucement à l'ombre. Les bols, les bassins et pichets, les pots à lard, à crème ou à beurre, les vases, les cruches et les écuelles attendaient la cuisson, alignés sur un mur de l'atelier, comme une armée de soldats de plomb attendant le feu. Du côté opposé, sur trois étagères, se superposaient les produits finis, sortis du four lors des cuissons précédentes. Beaucoup étaient déjà partis pour les magasins d'Aix, les autres attendaient le passage des marchands de Marseille; une aiguière finement élancée côtoyait des plats grossiers de terre brune ; des vases parsemés de frises ou de mosaïques, rehaussés de figures géométriques, tranchaient à côté d'assiettes au vernissage irrégulier.

- Pourquoi tu l'as pas décoré, ce plat-là ?

- Ah, c'est qu'il en faut pour toutes les bourses, ma  petite !

- Ben, il vaudrait plus cher, s'il était décoré ! Maman dit que c'est toi qui dessines le mieux, à Saint-Zacharie !

 - Elle est bien gentille de dire ça ! Mais tu sais, tout le monde n'a pas envie d'acheter une cruche ornée pour aller à la fontaine. Plus ça va, et moins les gens ont d'argent, avec toutes ces sales guerres que le roi entreprend, et ceux qui en ont encore commencent à préférer des vases plus beaux que les miens. Mais vois-tu, dans nos petits villages, nous aurons toujours besoin de pichets, de bassins, de plats, d'écuelles ou de brocs, et tout le monde n'a pas de quoi s'acheter de l'étain. C'est pour ça que je ne veux pas oublier mon premier métier : avant de dessiner, on est d'abord potier.

Ils s'étaient avancés vers le fond de l'atelier, où gisait un tas de débris de poterie, entassés là régulièrement lors des mauvaises sorties de four. Il s'agenouilla, fouilla un peu et, saisissant deux objets dans sa main droite, il se tourna vers Elisabeth, l'index devant sa bouche. Il resta ainsi quelques secondes, puis sortit précautionneusement deux assiettes vernissées hors des déchets. Une fenêtre, en meurtrière, laissait passer un rayon de soleil poussiéreux. Jean-Baptiste brandit les assiettes dans la lumière et les admira comme s'agissant d'un trésor. Elisabeth se rendit tout de suite compte que le décor n'était pas du style habituel du potier : il était moins recherché, plus brouillon, surchargé et irrégulier et, pour tout dire, enfantin.

Les deux dessins étaient ressemblants, ils représentaient des fleurs. Mais les écritures étaient différentes, elle le voyait bien.

- Qu'est-ce qui est écrit ?

- Sur celle-ci, c'est Marie, et sur celle-là, Isabeau !

- Qui est-ce qui a marqué ça ?

- Tu ne devines pas ?

Ses yeux s'éclairèrent tout d'un coup:

- C'est Pierrot ?

Le potier acquiesça en souriant. Mais une ombre passa sur le visage de la gamine, mêlée de curiosité et d'inquiétude :

- Qui c'est, Marie ?

Jean-Baptiste poussa un long soupir, hocha la tête :

- C'était sa mère !

- ???

- Il avait un peu plus d'un an quand elle est morte, et quand je me suis remarié, il en avait presque trois. Alors c'est ma femme qui l'a élevé, mais il garde toujours la mémoire de sa mère. Je ne sais pas s'il s'en souvient vraiment ou s'il se rappelle ce que je lui en ai dit, mais à l'école, quand les autres ont appris le  mot MAMAN, il a demandé au magister le modèle de MARIE. La première fois que je l'ai vu l’écrire, c'est après un soufflet que ma femme lui avait donné ; il est parti pleurer derrière la maison, et avec un bout de bois, il a tracé sur le sol : MARIE.

Il avait parlé sans quitter les assiettes des yeux. Il se tut.Timidement, Elisabeth risqua :

- Et Isabeau, c'est moi ?

- Et qui veux-tu que ce soit d'autre ?

Le sourire revint aussitôt sur les lèvres de la fillette.

- Mais pourquoi il les cache, ces assiettes ?

Jean-Baptiste prit un air mystérieux et garda les yeux rivés sur les assiettes:

- Ne lui dis jamais que tu les as vues ! C'est son secret ! Quand il vient ici, c'est qu'il a de la peine; il les sort et s’assoit là, en face du rai de lumière. Et il reste ainsi de longs moments à les regarder, plongé dans ses pensées. On dirait qu'il n'est plus là ! Je ne le dérange jamais quand il fait ça.

- Alors, quand il regarde mon assiette, il pense à moi ?

- Sans doute, ma petite, sans doute !

- Ça c'est drôle ! Je croyais qu'il m'aimait pas, parce qu'il se moque toujours de moi ! Et puis d'ailleurs, il ne m'a jamais offert de fleurs, en vrai !

- A sa mère non plus ! Mais ces fleurs-là, tu ne les trouveras ni dans les champs, ni dans les collines : il les a cueillies dans son jardin secret.

Elle remarqua :

- C'est curieux, il a fait presque le même bouquet pour sa mère que pour moi. Je suis pas morte !

Il regardait toujours les assiettes, et répondit comme s'il se parlait à lui-même :

- C'est vrai qu'on cueille aussi bien des fleurs pour un enterrement que pour un mariage ! Mais quand on n'a pas dix ans et qu'on ne connaît pas trop le langage des fleurs, ce qui compte, c'est d'offrir un bouquet. Celle qui le reçoit comprend bien ce qu'il veut dire.

- Mais je peux pas comprendre, si je l'ai pas encore reçu !

Il releva la tête, comme s'il sortait d'un rêve :

- Tant qu'on ne l'a pas offert, c'est un cadeau qu'on se fait à soi-même ! Et un jour, le bon moment arrive. En attendant, c'est bien d'accord, tu n'as rien vu ?

- Parole ! Et toi, tu me promets de la cuire, mon écuelle ?

Il enfouissait déjà les trésors sous l'amas de tessons de poteries. Il se releva et planta les mains sur ses hanches en souriant :

- Demain, quand Pierre sera à l'école, tu viendras voir la mine de ton écuelle, et tu n'auras plus envie que je la cuise.

- Pourquoi ?

- S'il était aussi facile que cela de faire une écuelle, il n'y aurait pas besoin de potiers ! Tu sais, ce que Pierre te disait tout à l'heure, c'est un peu vrai.

- Que les filles peuvent pas faire de poterie ?

 - Non ! Mais qu'on ne peut pas réussir du premier coup ! C'est un métier, il faut connaître les tours de main. Ça s'apprend ! Il faut beaucoup regarder et essayer longtemps. On n'y parvient pas du jour au lendemain.

- Alors, je peux pas faire une écuelle ?

Et son visage s'assombrit.

- Eh non, pas tout de suite ! Mais si tu veux, je pourrai te tourner une assiette, comme à Pierre, et tu pourras la décorer.

Il ajouta avec un clin d'œil :

- Et je pourrai même t'aider à écrire : PIERROT.

Sa figure s'illumina, et elle faillit même lui sauter au cou :

- Oh, merci, Maître Bousquet ! Demain, alors ?

- C'est ça, demain ! Mais...

Il posa un doigt sur ses lèvres ; elle en fit autant, l'œil pétillant, et ils se quittèrent comme deux conspirateurs. Elle s'éloigna en sautillant, vers la colline, où sa mère devait l'attendre.

Jean-Baptiste se rassit derrière son tour, qu'il relança d'une puissante poussée de bâton. Après avoir rabattu les bords de son chapeau, pour se protéger du soleil qui montait déjà, il trempa ses mains dans le bassin et se remit à l'ouvrage. Il venait d'achever une pièce lorsque sa femme descendit l'escalier de la maison paternelle, tenant par la main une fillette de six ans :

- Je vais avec Marguerite chez l'apothicaire. Ton père ne va pas mieux !

- Qui s'en occupe ?

- Ta mère est près de lui ! Et ta petite sœur me garde Augustin et le petit Claude.

- Très bien ! Quand tu reviendras, pourras-tu passer chez Jacques Roubaud ? Tu lui demanderas de me préparer une somme d'argile, je risque d'en manquer.

- Entendu, j'y passerai ! A tout à l'heure !

- A tout à l'heure, Isabeau !

 

 

*          *          *       

 

 

- Alors, tu cuis quand, Jean-Baptiste ?

- Je commence ce soir si tout est prêt ! Il est bien sec, ton bois ?

- Sûr ! C'est du bon pin de la colline ! Il est coupé depuis deux ans ! Avec ça, tu auras un feu de Dieu !

- Très bien ! Encore deux charretées et j'en aurai assez.

Ils grimpèrent dans la charrette et la vidèrent en jetant les tronçons de bois à terre.

- C'est la première fois que tu diriges la cuisson de ton père... il ne  va pas mieux ?

- Non, et j'ai même peur que ce soit sa dernière fournade !

- Oh, tu plaisantes !

- C'est lui qui le dit ! Et tu sais, les anciens, ils sentent... Hier, il a fait venir le notaire... D'ailleurs, si tu voulais, tu pourrais m'aider à lui faire plaisir.

- Dis voir !

- Il m'a demandé de jeter régulièrement dans le feu des brins de lavande pour parfumer l'air. Mais, j'ai tant à faire...

- Si ce n'est que cela ! Mais pour quoi faire ?

- Il me dit que ça lui rappellerait sa jeunesse à Moustiers. Il n'y est jamais retourné !

- Je comprends ! A propos, ton frère Joseph, il est bien, là-bas ?

- Je lui ai écrit pour qu'il revienne au plus vite. Je veux qu'il revoie le père.

- Quel âge ça lui fait, maintenant ?

- Dix-neuf ans passés ! C'est presque un homme à présent. Ça fait déjà près d'un an que je ne l'ai pas vu.

- Et pourquoi il n'est pas resté apprendre le métier avec ton père, comme toi ?

- Il l'a fait, et il se débrouille très bien pour tourner. Mais plus ça va, et plus il y a de potiers qui viennent de Moustiers s'installer ici, et nos poteries sont devenues trop grossières pour les gens de la ville. Si l'on n'a plus que les gens de la campagne pour clients, il n'y aura plus assez de travail pour tous.

- Alors, qu'est-ce qu'il leur faut maintenant, aux gens de la ville ?

- Eh, de la faïence, pardi ! Il faut peindre les poteries ! Et c'est ça qu'il est allé apprendre chez notre cousin à Moustiers, Joseph !

 - De la faïence ! C'est pour les riches, ça ! Vous pourrez pas les vendre ici, vous devrez les envoyer à Aix, ou à Marseille, au moins !

 - Oh, pauvre, il faut bien vivre avec son temps. On verra bien ce que Joseph aura appris à faire. De toutes façons, il ne sera plus question qu'il retourne à Moustiers, j'aurai trop besoin de lui ici ; et s'il se débrouille bien, je tournerai et il peindra.

La charrette était vide, ils descendirent.

- Allez, je vais chercher le deuxième voyage ! Et pour la lavande, je te descends Isabeau : elle sait où en trouver de la sauvage, sur les coteaux qui bordent l'Huveaune. Ta jeune sœur n'aura qu'à l'accompagner, elle me dit qu'elles s'entendent bien. C'est normal, hein, elles sont du même âge, et en plus elles s'appellent pareil ! C'est pour ça que tu dois la voir souvent traîner par là !

Jean-Baptiste sourit :

- Elle mangera là ce midi ! Je la garderai pour m'aider à porter les poteries au four. Pierre sera à l'école et j'ai besoin de bras.

- Entendu. Allez, à tout à l'heure !

Il détacha son cheval, l'orienta vers le chemin, grimpa sur la bancelle et, d'un ordre bref, fit avancer l'animal.

 

 

*          *          *

Le soleil baissait déjà dans le ciel pur et se faisait moins chaud. Pierre et les deux filles revenaient les bras chargés de touffes de lavande encore vertes. Jean-Baptiste achevait d'installer ses poteries les unes sur les autres, de façon méthodique et soigneuse. Il fallait remplir le four jusqu'à la gueule pour rentabiliser la dépense de bois. A même la sole, il avait disposé de nombreuses piles d'assiettes, séparées les unes des autres par des tessons de tuile, afin que l'air brûlant pût passer entre elles ; au-dessus étaient des plats de tailles différentes. Enfin, des pots de toutes sortes surmontaient le tout, imbriqués les uns dans les autres comme des poupées gigognes, et présentant diverses formes, allant de la salière aux pots à beurre, en passant par les petites fioles, les pots à tabac ou les cruches.

- Tu as pensé, Maître Bousquet ?

Jean-Baptiste lui fit un clin d'œil entendu, en souriant. Elle observa l'entassement confus.

- Oh ! La belle cruche ! C'est toi qui l'as faite ?

- Non, c'est mon père ! C'est la dernière pièce qu'il vient de finir.

- Qu'est-ce qu'il a écrit dessus ?

Il soupira et répondit gravement :

- Eh bien, tu vois, ici, ce sont ses initiales : J.B., Jacques Bousquet ! Et là, juste au-dessous de la croix, c'est la date : 1683.

- Sur les autres, y a rien d'écrit !

- Oui, je sais.

Et il ajouta, comme pour lui-même :

- Cette cruche restera dans la famille : son eau sera bénite.

 La main sur la porte métallique du four, il resta un moment figé, contemplant l'enchevêtrement de pièces, ce fouillis organisé, cet échafaudage de vaisselle inachevée. Voilà tout l'héritage que son père lui transmettait : une somme de techniques déjà dépassées, qui permettraient tout juste de nourrir sa famille en fabriquant de simples objets de terre, dont la principale beauté résidait dans leur fragilité.

Cette fournée, la dernière sans doute qui mêlât ses pièces et celles de son père, signifiait en même temps un aboutissement, celui d'un mois d'ouvrage et d'une vie de travail, et un commencement, celui d'une ère de technique nouvelle et de recherche artistique. Ainsi, cette cruche de vulgaire terre grise, recouverte d'une engobe foncée et d'un simple vernis, où son père avait mis tout son cœur, réuni tout son métier, en ne se servant pour tout outil de décoration que d'un simple bout de bois, lui paraissait-elle le summum que l'on pût attendre de cette technique archaïque ; elle était le chef-d'œuvre final de l'artisan, le résumé de l'art qu'il léguait à sa postérité.

Jean-Baptiste sentait confusément le passage de flambeau qui s'effectuerait entre son père et lui, et avait conscience de la tâche redoutable de chef de famille qui l'attendrait sous peu, lui conférant la responsabilité et le devoir de poursuivre l'entreprise familiale. Il acceptait l'héritage, mais en lui-même, il se jura de ne jamais en être prisonnier. Il referma soigneusement la porte de fer et la verrouilla fermement.

- Maintenant, nous allons organiser le foyer, les enfants. Passez-moi les herbes sèches et le petit bois.

Les deux enfants apportèrent à Jean-Baptiste des brassées de fougères sèches et les tiges de lavande fraîchement coupées, ainsi qu'un fagot de brindilles ramassées l'automne passé. Il répartit avec soin tous ces combustibles dans le foyer, de façon qu'il n'y eût plus qu'à y bouter le feu.

Le ciel était un camaïeu de bleu, déclinant du zénith à l'horizon toutes les nuances de l'azur à l'indigo. Jean-Baptiste sentait monter en lui la solennité du moment qui approchait. La nuit serait longue ; qu'importe, il n'avait pas sommeil, trop de choses se bousculaient dans son esprit. Mais une chose l'embarrassait par-dessus tout : allumer lui-même le four de son père, alors qu’il était là, près de lui, n'était-ce pas l'enterrer vivant ? Accomplir à sa place ce rite patriarcal, n'était-ce pas une sorte de  parricide ?

- Venez, les enfants, allons voir le père !

Dans la cheminée, un feu vif léchait les flancs d'une marmite de fonte où cuisait le souper. Traversant la pénombre, sa lueur suffisait à éclairer le lit de coin dans lequel se tenait, mi-allongé, mi-assis, un homme fatigué, la face cuite et l'œil terne, le souffle court. Sans un mot, sa femme libéra le trépied situé à son chevet et alla s'asseoir dans le cantou, sur le petit banc de l'âtre. Jean-Baptiste s'assit près de son père et, comme à l'accoutumée, prononça :

- Tout est prêt !

Les enfants se tenaient au pied du lit en silence ; tous trois étaient pratiquement du même âge et l'une, Elisabeth, était sa fille, l'autre, Pierre, son petit-fils, et la troisième, Isabeau, la fille du bûcheron, un ami de longue date. Le vieux regarda son petit monde un moment, puis s'adressa à son fils :

- Qui t'aidera à charger le feu, pendant ces deux jours ?

- J'y veillerai la nuit, et ma femme le jour.

- Moi aussi, père, j'aiderai dans la journée, ajouta doucement Elisabeth.

- Et moi, lâcha Pierrot, je resterai avec mon père toute la nuit !

Le vieux bonhomme sourit :

- Vous l'aimez donc tous, ce beau métier ! Dieu soit loué ! Puissiez-vous le transmettre à vos enfants comme je le transmets aux miens !

Il appela d'une voix sourde :

- Marguerite ! Apporte-moi un tison !

Sa femme choisit un solide brandon dans la cheminée et le lui apporta. Tendant sa main hors du lit , il le saisit, tandis que de l'autre, il faisait signe à Pierre de s'approcher.

- Je bénis ce feu pour que toutes les pièces soient réussies. Tiens Pierrot, puisque tu aideras ton père à surveiller ce feu, eh bien, tu l'allumeras avec lui. Allez-y ! Et rappelle-toi bien, Jean-Baptiste, ce que je t'ai toujours dit : chauffe le four doucement au début !

Déjà, dans la rue, Elisabeth avait appelé la femme de Jean-Baptiste pour l'avertir qu'on allait commencer. Celle-ci descendait l'escalier en tenant le petit Claude sur son sein et Augustin par la main, alors que Marguerite, du haut de ses six ans, se tenait sur le perron. Tous se figèrent dans un silence religieux quand Pierre sortit de la maison de ses grands-parents en tenant le tison comme on tient un cierge, suivi de son père, qui semblait plongé en une profonde prière. L'enfant se dirigea tout droit vers le four, les yeux brillants. S'agenouillant, il regarda son père, qui approuva, et dirigea le brandon vers les fougères sèches. Il attendit un peu, puis souffla doucement. Une flamme naquit, pétilla, grandit, et commença à dévorer les brindilles qui s'offraient à elle. Jean-Baptiste apporta quelques triques pour la nourrir, puis quelques rondins. Il regarda sa femme, restée au milieu de l'escalier, et crut apercevoir deux petites flammes dans ses yeux. Puis, se tournant vers la maison de son père, il se rendit compte que sa mère, toute pâle, s'était arrêtée dans l'encadrement de la porte, comme écartelée entre le passé et l'avenir, entre un mari mourant et un homme naissant, entre la nuit et l'étincelle. Il la vit tourner la tête vers l'intérieur et entendit :

- Ça y est, c'est fait !

Il poussa un soupir et se détendit enfin. Cette mise à feu n'avait provoqué aucune explosion, aucune catastrophe. Rien n'avait bougé, le rite séculaire s'était accompli encore une fois, tout simplement. Il déclara à Pierre :

- Demain, tu iras porter le sou de la fournade à Saint-Claude !

Il alimenta le foyer de quelques poignées de lavande que le feu dévora en crépitant, répandant son parfum dans tout le quartier, comme un encens.

- Rentrez tous souper, j'arrive tout à l'heure !

Quand les portes se furent refermées, il chargea le foyer, s'assit par terre et, le cœur soulagé, regarda les étoiles.

 

 

*          *          *

 

Depuis la veille qu'il s'était éteint dans son foyer, il était mort doucement, et maintenant il était complètement froid. Jean-Baptiste avait jeté dessus une pelletée de cendre, comme pour empêcher un dernier souffle de le ranimer. A nouveau, toute la famille silencieuse faisait cercle autour de lui, mais dans l'intimité, cette fois-ci. Tous attendaient encore de lui le geste solennel. Il s'avança et fit un signe de croix, aussitôt imité par Joseph et tous les membres de la maison, puis il tendit la main vers la porte du four. Décidément, tous les actes de la vie le ramenaient à la terre : quand il la travaillait, elle le nourrissait, quand il la fouillait, elle se payait son tribut : " Tu es né poussière et tu redeviendras poussière !" avait dit hier le curé, en guise de consolation, devant tous les amis assemblés, chapeau à la main.

Maintenant, il ne pensait plus qu'à une seule chose, qui l'obsédait depuis trois jours déjà, depuis le début de la cuisson, une chose qui pouvait changer le cours de sa vie ou le rendre immuable, qui pouvait l'enchaîner ou le libérer ; il fallait qu'elle fût parfaitement réussie pour qu'il pût s'en affranchir sans mauvaise conscience ; elle devait être inégalable pour qu'il se permît de changer de voie sans trahir ses engagements. Et le moment était arrivé.

Il saisit le loqueteau, le fit jouer, et ouvrit toute grande la porte. Après un instant de silence angoissé, les cris de joie fusèrent au milieu des applaudissements : la fournée était réussie, aucune pièce n'était cassée, et la poterie grise avait reçu une belle couleur vernissée. Mais les yeux de Jean-Baptiste ne quittaient pas la cruche, juchée au sommet de l'entassement hétéroclite : elle était superbe, il était sauvé !

La cuisson l'avait ornée d'une belle larme de potier. Il la prit dans la main et la fit voir à son frère :

- Voici la dernière pièce de notre père ! Nous ne devrons jamais la vendre !

Joseph écarquillait les yeux. Il ne se rappelait pas avoir déjà vu de plus beau travail sortir de cet atelier. Et cette croix, accompagnée de ses inscriptions, prenait maintenant une signification symbolique.

Elle semblait dire : "Voici ce que votre père a fait au bout d'une vie de travail. A votre tour, montrez ce que vous savez faire !"

- Porte-la à la maison, Joseph, tu la mettras sur la cheminée, sous le crucifix !

Puis Jean-Baptiste commença à défourner méthodiquement ses poteries en les examinant une à une, les confiant aux membres de la famille, qui les portaient à l'intérieur de l'atelier, où ils les alignaient sur les étagères, en compagnie des précédentes, dans l'attente du passage des négociants. Cette besogne achevée, les deux frères se retrouvèrent seuls au milieu des poteries.

Joseph n'avait pas encore eu le temps de faire le point, après l'enchaînement précipité des événements. Il avait reçu la lettre de Jean-Baptiste à Moustiers le vingt-cinq avril, avait fait son bagage dès le lendemain, et avait pris congé de son maître d'apprentissage. Il ne savait pas s'il reviendrait. A marches forcées, il avait parcouru les trente lieues de montagnes et de vallées qui le séparaient de Saint-Zacharie, où il était arrivé, harassé, l'après-midi du vingt-huit, trouvant son père au lit. Il avait juste eu le temps de lui procurer la dernière joie d'une courte conversation, car l'ancien lui avait surtout parlé avec les yeux. Le vingt-neuf, à l'aube, tandis qu'il aidait son frère à recouvrir le feu de cendres, le curé tout à côté administrait les Saintes Huiles à son père, et recueillait son âme un peu plus tard, au moment même où l'on soufflait les dernières flammes du foyer.

Puis la course avait commencé : il avait fallu courir le menuisier et le fossoyeur dès le matin, pour que tout fût prêt l'après-midi. Les voisines étaient venues faire leurs offices pendant que leurs maris couraient à Tretz, avertir Nicole du décès de son père. Quant à Guillaume, qui était aux armées, il apprendrait la triste nouvelle à son retour, peut-être cette année, peut-être l'an prochain, peut-être jamais. Il avait fallu épauler la mère et consoler les jeunes sœurs, puis veiller aux funèbres préparatifs qui précédaient la messe d'inhumation, et ensuite, le cortège s'était formé pour assister à la cérémonie et à l'enterrement. Le soir, la famille s'était retrouvée entre elle, et la réunion, qui comprenait une quinzaine de membres, silencieuse au début, était devenue peu à peu plus animée et babillarde : ses sœurs lui avaient posé mille questions sur sa vie d'apprenti, sur son travail et sur la mode des faïences qu'on produisait à Moustiers, comparée à celles de Nevers, sur les techniques de cuisson et les oxydes qu'on y employait. Il avait répondu, étourdi par tant de curiosité, et s'était abandonné au sommeil sitôt que chacun était reparti vers son logis.

Et ce matin, Jean-Baptiste, jugeant que le four devait être suffisamment refroidi, lui avait annoncé la nouvelle tâche qui les attendait. A présent qu'elle était accomplie, il pouvait souffler un peu et refaire connaissance avec ce monde qu'il avait quitté un an plus tôt. Jean-Baptiste ne lui en laissa guère le temps :

- Tu sais, ta présence est nécessaire ici, parce que je ne pourrai pas à moi seul nourrir toute la famille et payer ton apprentissage. Je garderai mon tour, tu prendras celui du père, au début. Dès qu'on aura un peu plus d'argent, je te promets que je t'enverrai continuer ton apprentissage de la faïence ; et quand tu seras reçu dans la maîtrise, nous construirons un nouveau four, nous t'achèterons des couleurs. Tu pourras nous montrer ce que tu auras appris là-bas. J'ai hâte de voir cela !

Joseph s'était assis, ressentant soudain toute sa fatigue accumulée les jours précédents. Cette brutale annonce d'une année d'efforts inutiles lui coupait les jambes.

- C'est avec ces poteries-là que l'on va gagner assez d'argent pour construire un nouveau four ?

- Nous n'avons pas le choix, Joseph ! Je sais ce que tu penses ! Ces poteries ne sont plus que pour les gueux, pas pour les bourgeois, et les gueux n'ont plus d'argent. Mais c'est justement pour cela qu'il nous faudra travailler dur : plus nous pourrons sortir d'ouvrage de l'atelier et plus vite nous pourrons épargner quelques écus. Et alors là, peut-être qu'un jour...

- Un jour ?

- Eh bien, ici, tu vois, nous commençons à être trop nombreux,  et nous fabriquons tous les mêmes objets. Si nous pouvions faire autre chose. La faïence, j'y crois. Seulement...

- Seulement quoi ?

- Seulement, ce n'est pas dans nos campagnes que nous pourrions l'écouler ! Il faudra descendre à la ville !

- Mais, Jean-Baptiste, tu n'y penses pas ! Nous ne pouvons plus quitter cette terre, maintenant que notre père y est pour toujours. Nous ne pouvons pas l'abandonner !

- Crois-moi, Joseph, ce ne serait pas de gaieté de cœur ! Mais, s'il faut prendre soin des morts, il est encore plus nécessaire de veiller à nourrir les vivants. Notre père ne me désavouerait pas, lui qui a quitté Moustiers pour venir s'installer ici parmi les premiers, lorsque Saint-Zacharie semblait la terre promise pour les maîtres potiers. Mais aujourd'hui, il est temps d'en repartir.

- Tu abandonnerais l'héritage qu'il nous a laissé ?

- Rappelle-toi ce qu'il nous répétait : le plus bel héritage est celui que l'on emporte partout avec soi ! C'est pour cela qu'il t'a envoyé en apprentissage à Moustiers.

Joseph avait souvent entendu son père prononcer cette phrase, mais il ne la comprenait qu'aujourd'hui. Ainsi donc, il était heureux de revenir dans "son pays" qu'il connaissait comme sa poche, et on lui expliquait qu'il faudrait bientôt reprendre son balluchon et chercher un autre endroit où construire sa nouvelle vie. Mais son frère semblait savoir où aller.

- Tu sais, Joseph, moi aussi j'aimerais bien apprendre la faïence, si j'avais ton âge. Mais maintenant, c'est trop tard pour moi, je suis un potier et je le resterai toute ma vie. Pourtant, j'ai des idées dans mon métier et si tu voulais, tu pourrais peindre ce que j'aurais fabriqué, nous ferions de bien belles choses, et qui plairaient sûrement aux gens de la ville.

- Et où crois-tu qu'on s'installerait ?

- J'ai mon idée ! Il m'est déjà arrivé d'avoir à ce sujet des conversations intéressantes avec les marchands de Marseille, mais il me faut plus de précisions. Ce n'est encore qu'une idée et nous en reparlerons le moment venu. Mais avant, nous avons bien du travail à faire. Si tu veux, nous nous remettrons à tourner après déjeuner !

- Bien ! Avant de manger, je vais passer voir Jean Terrasson. Sa famille de Moustiers m'a chargé de lui donner des nouvelles. A tout à l'heure !

Et il descendit le sentier d'un pas de flâneur, l'air absorbé.

 

 

     *          *          *

 

 

- Alors, elle est réussie, Maître Bousquet ?

- Tiens, te voilà, toi !

- Où tu l'as cachée ? Pierrot l'a pas vue ?

- Où l'aurais-tu mise à ma place ?

- Pas dans l'atelier, toujours !

Il sourit. L'impatience de la gamine qui arrivait, les bras chargés de fleurs, l'amusait. Il voulut la laisser chercher un peu. Elle comprit très vite le jeu, posa sa brassée de marguerites, puis se redressa et, les poings sur les hanches, scruta l'espace qui l'entourait. Pas l'atelier, donc ! Ni la maison, le secret serait mal gardé ! Le grenier peut-être ? Mais comment aurait-il pu y aller en cachette ?

Elle s'approcha de l'appentis avec précaution, comme si elle craignait de réveiller une bête tapie dans l'obscurité. Tandis qu'elle risquait la tête à l'intérieur, elle entendit dans son dos :

 

                      -     Il est clos d'une porte en fer,

                            Le diable y est à son affaire,

                            S'il est habité, c'est l'enfer,

                            Il fait noir quand il est désert.

 

 - Alors c'est là !

 Elle s'y engouffra hardiment, sûre d'y trouver ce qu'elle cherchait. Mais après quelques minutes de vaines recherches, elle reparut sur le seuil, dépitée, regardant Jean-Baptiste d'un air réprobateur :

- Je la trouve pas ! Et d'abord, la porte n'est pas...

Hé fan ! Il était face à elle, au fond de l'atelier, derrière le potier. Elle aurait dû y penser plus tôt, c'était l'endroit le plus simple, celui où ni Pierrot ni personne n'irait fouiller. Elle s'en approcha à pas lents, pendant qu'il l'observait, l'œil plein de malice. A l'étincelle qu'elle avait dans les yeux, il savait qu'elle avait trouvé. Mais son cœur se serra quand il la vit esquisser rapidement un signe de croix, elle aussi, avant d'ouvrir la porte du four. Décidément, cette petite comprenait bien des choses. Elle laissa échapper un petit cri de bonheur quand elle put saisir son assiette. Son dessin, correctement exécuté pour une première fois, représentait une marguerite rayonnante comme un soleil, d'où se détachaient quatre pétales emportés au vent ; sur le cœur, en faisant tourner l'assiette, on pouvait lire en petites lettres : Pierrot. Les hasards du vernissage avaient nuancé avec bonheur les teintes de la fleur.

- Tu l'aimes ?

 - A la folie !

Près de l'église, une petite cloche sonnait la sortie de l'école.

- Je viendrai la chercher demain, sinon Pierrot va la voir !

Et elle referma le four, lui confiant son trésor pour une journée encore. Elle porta le bouquet sur les marches de l'escalier et s'assit. De là, elle le verrait bien arriver. Elle commença à effeuiller les tiges, puis à les tresser entre elles. Elle s'appliquait à son ouvrage, faisant semblant de ne pas le remarquer, qui arpentait le dernier raidillon.

- Tiens, tu es là ! Oh, c'est joli ! comment tu fais  ?

- Je les tresse trois par trois !

- Ça rend bien ! Comment t'as appris ?

- C'est ma mère qui m'apprend ! Je regarde comment elle fait, et je fais pareil !

- Tu me montres ? Je voudrais en faire aussi !

- C'est pas les gars qui font des tresses avec des fleurs ! C'est trop difficile !

- Je peux bien y arriver, si tu me montres !

- Non, tu peux pas, parce que les garçons, y savent pas !

- Mais, je peux bien apprendre !

- Les garçons, ça travaille la terre et ça a des doigts trop gros pour faire des choses comme ça. Tu sauras jamais, parce que t'es qu'un gars !

- Toute façon, ça m'intéresse même pas !

- Tant pis pour toi, j'ai fini !

- Tu peux les jeter, c'est même pas beau !

Elle se leva d'un bond, projeta son joli travail au loin et cria :

- C'était pour la tombe de ton grand-père ! Ben voilà, maint'nant!

Pendant qu'elle pleurait amèrement, la tête enfouie dans son sarrau, Pierre regardait le bout de ses pieds, immobile, sentant peser sur lui le regard sévère de son père. Lorsqu'il eut le courage de l'affronter, il comprit très vite ce qu'il lui restait à faire : il alla ramasser le petit chef-d'œuvre et s'approcha, l'air penaud, d'Isabeau.

- Dis, tu m'apprendras ?

Elle releva la tête en reniflant, s'essuyant du revers de sa manche. Elle lui tourna le dos et nettoya les débris de fleurs qui encombraient l'escalier, le temps de reprendre contenance. Enfin, elle se retourna en souriant :

- ­On va le porter ?

Soulagé, il interrogea son père, déjà certain de la réponse :

- Je peux y aller ?

- ­Oui, mais ne soyez pas long, il est presque l'heure de manger !

- Promis, père ! A tout à l'heure !

Ils descendirent vers l'église, tenant la tresse chacun par une main.

 

 

*          *          *

 

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