Cette fontaine polychrome était présentée en vente sous l'appellation "Rouen XVIIIe". Au sommet ne figurent plus que l'amorce d'une coquille et les têtes des dauphins qui l'encadraient. Au dos se remarque le chiffre 3 (repéré par un triangle) en relief et à l'envers, donc sur le moule en creux et à l'endroit. La panse est godronnée, à décor rocaille, et offre une tête humaine en guise de gueulard, ce qui ne se rencontre pas si souvent. Est-ce donc bien du Rouen ?

La seconde fontaine, en camaïeu bleu, présente le même décor, adapté à sa taille inférieure, un gueulard toujours à tête humaine, et la marque 2 en relief au dos. La panse est également godronnée. De toute évidence, ces deux pièces sortent de la même fabrique, l'une étant de taille 3, l'autre de taille 2. Ceci indique une production pré-industrielle, où l'on fabrique plusieurs tailles d'un même modèle, et signale une manufacture d'une réelle importance.

Un détail, au cul de la petite, attire l'attention : un L avec sérif, gravé dans l'émail blanc par grattage. Ce signe rappelle la marque de Locmaria, à l'époque de Bousquet (1ère moitié du XVIIIe s).

Une recherche du côté de Quimper s'imposant, nous trouvons au Musée départemental breton une fontaine de taille 3 en tous points semblable à celle polychrome, mais en camaïeu bleu cette fois. Cette troisième, acquise par le Musée en 1876 pour son exposition régionale rétrospective, présente un décor identique à celui de deux épaves de fontaines conservées au Musée de la Faïence de Quimper, provenant de l'ancienne collection De la Hubaudière, et au décor des deux premières.

Cette fois le doute n'est plus permis : toutes proviennent de la manufacture HB de Quimper, à l'époque de son fondateur Pierre Bousquet, le L signifiant bien Locmaria. Cet établissement, avec ses deux grands fours jumeaux et son troisième, un peu plus petit, pouvait aisément rivaliser avec n'importe quel autre de Rouen, aucun ne le dépassant en nombre ni en taille de fours. Mais à la différence des manufactures rouennaises, celle de Locmaria équipait seule toute la Bretagne, tout en fournissant la compagnie des Indes de Lorient. Elle y jouissait d'un monopole de fait et devait s'organiser de façon très rationnelle, d'où cet étalonnage des tailles, nécessitant de nombreux moules, que l'on retrouve sur d'autres articles de grand débit, telles les vierges.

Ces précieux outils de plâtre demandaient beaucoup de place dans le magasin des moules, auquel Bousquet consacrait un bâtiment entier couvert d'étagères (cf. inventaires après décès).

Grâce à la troisième fontaine, nous connaissons la partie supérieure manquante des deux premières : ce ne sont pas deux, mais quatre dauphins qui devaient s'y retrouver et ménager deux trous de suspension.

Quant au gueulard à tête d'Indien, ou de femme, il semble spécifique de cette fabrique de Bousquet, comme on le voit encore sur les fontaines à pans coupés, elles aussi symptomatiques de Locmaria encore sous Caussy.